Boni Yayichef de l'etat: Chronique d’une débâcle annoncée (Par Richard Boni)

Boni Yayi chef de l’Etat : chronique d’une débâcle annoncée

 

Etait-il raisonnable en mars 2006 de considérer Boni Yayi comme un messie ? Répondre par la négative aujourd’hui serait prendre le risque de s’exposer à la critique d’une analyse a posteriori du genre « c’est facile de le dire aujourd’hui au regard de l’échec patent qui s’affiche aux yeux du monde ». Au moins, une telle réponse aurait le mérite de reconnaître une évidence actuellement indiscutable : Boni Yayi a échoué, lamentablement échoué. Quoi qu’on puisse en penser aujourd’hui, il faudrait tout de même admettre qu’il y a eu des personnes assez lucides qui ont affiché dès 2006 un certain scepticisme sur les capacités d’homme d’Etat de l’ancien président de la BOAD. On peut à cet égard se référer à l’ouvrage récent de Yacouba Fassassi qui livre un jugement assez éloquent du Général Kérékou à la veille de prise de fonction de son successeur. En effet, le Kaméléon dira à son Conseiller Spécial que « ce régime qui viendra sera le plus m… que le Bénin ait connu ». On pourra tout reprocher à Kérékou sauf sa capacité à connaître les hommes. Le moins que l’on puisse dire c’est que concernant le régime du Changement, et malheureusement pour le Bénin, Kérékou a eu raison. Il faudrait être d’un optimisme forcené pour croire que le peu de temps qui reste à Boni Yayi pour l’achèvement de son mandat suffira à produire le miracle. Il n’y a plus rien à espérer. L’heure est donc à la constatation d’une débâcle tant politique qu’économique et sociale.

 

Les acquis démocratiques liquidés

 

S’il est une chose qui mettait tous les observateurs nationaux et internationaux d’accord, c’était qu’avec l’élection de Boni Yayi le Bénin parvenait à un stade de démocratie affirmé. Ne venait-il pas en effet avec l’élection mars 2006 de passer avec succès le test de Huntington du nom du politologue américain ? En effet, ce dernier estime qu’un pays engagé sur la voie du libéralisme politique ne parvient au stade de véritable démocratie que s’il connaît successivement trois alternances. 1991, 1996 et 2006 sont les années phares qui ont concrétisé cette hypothèse au Bénin. Il y avait donc de quoi se gausser d’être entré dans un club très sélect. Hélas, un peu plus de trois années et un seul homme sont venus remettre en question ce capital commun chèrement acquis.

 

Aussitôt le pouvoir en main, Boni Yayi s’est lancé à l’assaut de l’armature institutionnel béninois afin d’en avoir un contrôle total et absolu. Le premier acte de cette tragique mise en scène s’est joué au Parlement. Les procurations arrachées aux députés alors proche de la mouvance n’avaient pour but que de s’assurer la mise au pas de ce contre-pouvoir en installant un bureau fantoche. Ainsi, la volonté des constituants béninois venait d’être mis à mal dans la mesure où en conférant l’autonomie à l’Assemblée Nationale (absence de dissolution), ils entendaient en faire un contre-pouvoir efficace à l’image de ce qu’a été cette institution lorsque sa majorité n’appartenait pas à la même famille politique que la mouvance présidentielle. C’est à l’occasion du renouvellement des juges de la Cour Constitutionnelle que l’on n’allait comprendre la mission réelle du politiquement inconsistant Mathurin Nago porté à la tête de l’Assemblée Nationale.

 

Cette institution qui était considérée comme le Saint Graal va elle aussi connaître un viol juridique. En effet, alors que sous les autres régimes ces nominations étaient l’objet d’un consensus, on va connaître sous le Changement des désignations des juges constitutionnels émanant de la seule volonté d’un homme. Plutôt que le Bureau de l’Assemblée Nationale de décider des quatre hommes et femmes qui iront siéger à la Haute juridiction, Boni Yayi enverra sa liste toute faite à Mathurin Nago qui se bornera à l’envoyer à son tour à la Cour Constitutionnelle avant d’en informer ses collègues.

 

Le moins que l’on puisse dire c’est que le chef de l’Etat actuel a réussi son coup en rassemblant des hommes et des femmes aveuglement acquis à sa cause. Pour une première fois au Bénin, le débat concernant la Cour Constitutionnelle en est au recouvrement de sa crédibilité. Plus de trois mois après, la société civile attend toujours la décision concernant sa requête au sujet du coup de force qu’a fait Boni Yayi concernant le représentant de la société civile à la LEPI. Quand bien même elle rendra cette décision, faut-il encore que le gouvernement veuille la respecter car le régime du Changement a acquis la triste réputation de ne jamais se conformer aux décisions juridictionnelles qui ne vont pas dans le sens de sa volonté.

 

On ne peut passer sous silence la véritable main basse que le chef de l’Etat a tenté de faire sur cette même société civile dont le salut, après la défection des Reckya Madougou, Roger Gbégnovi et autre Jean-Baptiste Elias, n’est du qu’a la lucidité de quelques uns qui ont tôt fait de comprendre que le Bénin était en train d’être mené dans un précipice. Bref on peut épiloguer longtemps, mais le fait pour Yayi d’être taxé de plus en plus, et par tous, de dictature en dit long sur la déconfiture actuelle de la réputation démocratique du Bénin.

 

Le sommet de ‘’l’horreur’’ qu’atteint Boni Yayi dans la mise à mort de la démocratie béninoise est la résurgence des détenus politiques. Cela peut sembler excessif notamment au regard d’un sinistre passé. Malheureusement, il faut convenir que seul le décor a changé car on ne parle plus de camp de concentration mais la réalité est la même : être privé de sa liberté du fait de ses opinions politiques. Andoche Amégnissè et actuellement le maire Clément Gnolonfoun sont des cas patents de cette dérive vers le stalinisme.

 

S’il ne serait pas surprenant de voir Yayi connaître un échec politique si patent, ses déboires économiques laissent interloqués.

 

La catastrophe économique ou le mandat des errements et des scandales

 

L’économie est à double titre le domaine dans lequel Boni Yayi était le plus attendu. Et pour cause, la reprise économique était une immense aspiration du peuple d’une part et la compétence supposé de l’ex patron de la BOAD présumait de son succès en les politiques économiques d’autre part. Présumait parce que Boni Yayi aura réussi le tour de force de faire douter de ses acquis académiques. En effet, le latin nous renseigne que le sens étymologique du mot docteur désigne ‘’celui qui enseigne’’ donc a fortiori celui qui maîtrise son art. Jamais on aura autant vu chef d’Etat béninois et africain revendiquer avec tant d’aloi son titre académique de docteur.

 

Plutôt que l’échec économique qui est lui est manifeste et indiscutable, c’est la méthode Yayi qui surprend plus d’un. Or la méthode est ce qui devrait manquer le moins à ce chef d’Etat qui se targue de diplôme universitaire dans un domaine où la démarche méthodologique est par excellence un critère d’expression. On en a vu d’autres avec un Nicéphore Soglo dont la maestria pour les politiques macroéconomiques et leurs mises en œuvre sont resté dans les mémoires. Improvisation et tâtonnement sont les maîtres mots de la gestion de Yayi. Il ne saurait en être autrement car l’ancienne candidate à la présidence, Célestine Zannou, mettait déjà en garde l’opinion publique contre l’absence de feuille de route de ce régime qui est dépourvu de programme d’action. C’est donc dire que l’expression navigation à vue prend tout son sens avec Yayi.

 

Cela relèverait du négationnisme que de prétendre que Yayi n’a rien fait. Mais ce qui se fait ne semble pas entrer dans un plan d’ensemble conçu et planifié à l’avance. C’est au pif que les dépenses publics s’effectuent et ce sans tenir compte de la loi de finance. En dépit de toutes les mises en garde, le dernier budget a été confection sur des bases totalement irréalistes – 1000 milliards 400 millions de prévision de recettes. Face à l’impasse financière actuelle, le gouvernement du Changement n’a trouvé rien de mieux que de faire de la crise financière internationale le bouc émissaire de ses mauvais choix économique et de son incompétence.

 

La microfinance passera ainsi comme le symbole de la mal gouvernance de Yayi. Déjà qu’elle passe pour beaucoup comme une stratégie de gestion de la pauvreté, le régime politique béninois actuel en a fait de surcroît un outil de propagande à des fins électoraliste. Les associations bénéficiaires des fonds ne sont en réalité que du futur bétail électoral. Des milliards de F CFA sont dépensés sans aucun souci de recouvrement en dépit du discours officiel. Comme il fallait s’y attendre, les groupements fictifs sont mis sur pied pour bénéficier de la manne. Vers quelle destination et à quelle fin ? Tel un palétuvier sous qui rien ne pousse, Boni Yayi avait besoin de faire le vide autour de lui pour se faire le chantre de la microfinance. Cela passait donc par la mise sous l’éteignoir du porte-étendard de la microfinance béninoise à savoir le PADME. Seul le départ de ce régime permettra de mesurer l’étendu des dégâts causée dans cette institution.

 

Comme il fallait s’y attendre, un tel assaut contre une institution financière ne pouvait rester sans réaction du milieu de la finance. C’est un secret de Polichinelle qu’actuellement les relations entre les institutions bancaires et le gouvernement sont au plus mal. C’est peu dire que la confiance ne règne pas. Il ne saurait en être autrement dans la mesure où ce gouvernement a complètement politisé et tribalisé le milieu économique. Aucun opérateur économique en dehors de la mouvance présidentielle n’est en droit d’obtenir un marché d’Etat. Le cas de l’opérateur économique Aladji Sasif est assez illustratif du gangstérisme politique actuellement en cours au Bénin. Les camions de transport de ces derniers ont été immobilisés sur ordre du président de la République parce que l’opérateur économique a été porté à la tête d’un parti politique réputé proche d’Abdoulaye Bio Tchané. Aladji Sasif n’a pas eu d’autre choix que de démissionner de ce parti et de retourner dans la famille Fcbe pour retrouver la plénitude de ses moyens économiques. Le tribalisme et le régionalisme vont de pair avec ses intrigues. Les marchés de travaux publics sont actuellement l’exclusivité de l’entreprise Adéoti du nom de son propriétaire qui appartient à la même ethnie que Boni Yayi.

 

Si on croyait avoir touché le fond au Bénin en matière de magouille économique et d’affaires mafieuses avec le régime de Kérékou, celui de Yayi a réussi le tour de force de faire passer la gestion du Général comme des plus exemplaires. L’affaire CEN-SAD est emblématique de l’indigence économique et de la voracité de la classe dirigeante actuelle. L’organisation du sommet dudit nom a été l’occasion d’une curée sur les finances publiques d’une rare intensité. En peu de mois, plusieurs milliards de Franc CFA ont été distraits dans les poches des tenants du pouvoir. Les exonérations fiscales accordées à-tout-vent et sans aucune limitation en quantité se sont révélées être de véritables cimetières des deniers publics. Aujourd’hui les recettes douanières sont au plus mal parce que les bénéficiaires de ces exonérations en ont tout bonnement profité en constituant des provisions et des stocks pour au moins deux ans. Les surfacturations ont été légions et illustrent à merveille l’affairisme qui a gagné les rangs des tenants du Changement.

 

Que n’avait-on pas entendu au lendemain de la prise du pouvoir du Changement au sujet de l’orthodoxie financière ? C’était l’occasion pour les ministres de Yayi de stigmatiser la gestion de leurs prédécesseurs notamment au sujet des ordres de paiement. Aujourd’hui, il est de notoriété qu’en un peu plus de trois ans d’exercice de pouvoir, le nombre d’ordre de paiement effectué sous Yayi dépasse de très loin celui émis par Kérékou en 02 ans de mandat. Le dernier rapport du FMI est, si besoin en était, la preuve que seule la banqueroute est la dernière étape qui manque à être franchie avant la descente aux enfers.

 

Ce qu’il faut savoir, c’est que ces conclusions du FMI ne viennent que corroborer un autre indicateur macroéconomique, celui de l’indice du développement humain. Le Bénin pointe à la 161ème place. Un recul par rapport aux autres années. Autre recul est celui du PIB qui est passé de 5 en 2007 à 2,5 cette année. Il n’y a donc rien d’étonnant à ce que le règlement de la masse salariale soit un casse-tête pour le gouvernement. Tout fonctionnaire du Ministère des Finances est aujourd’hui prêt à fournir des détails sur toutes les difficultés qu’ils éprouvent à payer les salaires des fonctionnaires. La création récente d’une structure chargée de vérifier les créances de l’Etat est la preuve même de l’ineptie de ce régime. Sur le plan social les choses ne sont pas au mieux.

 

La tension sociale, la marque de fabrique du Changement

 

L’IGE. Voilà sans aucun conteste la structure qui marquera à merveille le caractère répressif du régime du Changement. Plutôt que d’être un instrument de transparence, l’IGE est devenu une arme entre les mains de Yayi qui s’en sert à merveille pour ‘’redresser les torts’’. De mémoire de Béninois, jamais les relations n’ont été aussi tendues entre les centrales syndicales et le gouvernement. En dépit de l’absence des indicateurs formels sur le moral des ménages, il est aisé de remarquer l’angoisse des Béninois et des Béninoises quant à la gestion du quotidien. Bref le moral est au plus bas. Et la déception est à la hauteur des espérances placées en le locataire de La Marina.

 

Les frustrations nées des discriminations ethniques sont légions notamment dans l’administration où les cadres d’origine nago occupent les postes les plus importants et connaissent les promotions les plus fulgurantes. Le syndicat du ministère des finances a ainsi publié une liste des directeurs des entreprises parapubliques. Les ¾ des noms qui y figurent sont bien entendus de la même ethnie que Boni Yayi. Les rancœurs s’accumulent donc et il n’est à cet effet pas surprenant d’entendre des plus en plus de personnes promettre des lendemains d’enfer aux nagos.

 

Pire que tout, les Béninois ont peur de leur avenir politique car le comportement autoritariste de Yayi ne laisse pas présager d’une élection pacifique. Les rumeurs de guerre civile, de création de milices, d’achat d’armes et de division de l’armée n’ont jamais autant foisonné qu’aujourd’hui. Il y a donc lieu de se mobiliser car Yayi n’a pas réussi et ne réussira pas à nous enlever notre foi en la démocratie et en notre capacité à changer notre monde.

 

 

Richard BONI, Montréal (CANADA

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